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Jean Casse-tête de Louis Noir

Où il est parlé des chasseurs d’autruches en général et de Jean Casse-Tête en particulier.

L’œuvre que nous écrivons est historique ; le type de Jean Casse-Tête est connu ; le drame dont il a été le héros est aujourd’hui, à courte distance pourtant, une des légendes les plus populaires de l’Algérie.

Jean-Casse-Tête était un de ces : rudes coureurs de bois, buveurs de sables, tueurs de panthères et de lions qui sont les dignes émules des trappeurs de Fenimore Cooper.

L’Algérie, comme autrefois l’Amérique, est la terre promise des chasseurs ; le gibier y foisonne. En France il faut battre la plaine et la montagne pour tuer un lièvre ;’encore revient-on souvent bredouille.

En Afrique, aussitôt que l’on a mis le pied hors d’une tribu, les lièvres vous partent dans les jambes et les perdrix ; s’envolent sous le canon de votre fusil. Dans les environs des redoutes, il n’est pas rare d’abattre dix pièces une heure. Mais, outre le plaisir de tirer souvent, on éprouve en Afrique des émotions profondes et soudaines, que recherchent avidement les natures énergiques.

À chaque instant la poursuite du gibier est semée d’incidents inattendus, tantôt terribles, tantôt amusants, toujours étranges, – qui lui donnent le charme de l’imprévu et l’attrait puissant du danger. Les scènes de chasse se déroulent au milieu des sites les plus variés et les plus pittoresques ; où se ; heurtent les contrastes si tranchés des paysages algériens. Au printemps,-à peine a-t-on » quitté les villes, que l’on se trouve au milieu des solitudes profondes et mystérieuses que la civilisation n’a pas encore déflorées ; la nature a conservé son aspect sauvage et ses grâces virginales ; l’air est saturé de l’acre parfum des fleurs tropicales, la terre est couverte d’une végétation luxuriante, le soleil resplendit dans l’azur d’un ciel d’une limpidité inconnue, dans nos climats .brumeux. Et pas d’entraves, pas d’ennuis ! on jouit d’une liberté entière, pourvu ; que ; l’on s’enfonce à quelques, lieues du littoral, dans les territoires de chasse.

Nous ne voulons médire de personne, et nous convenons que la silhouette d’un beau gendarme, se dressant au milieu d’un champ, a quelque chose de majestueux. Mais les plus belles médailles ont un revers, et le revers du gendarme est le procès-verbal, qui n’a rien d’agréable.

Il faut avouer pourtant que, pour les natures craintives, la chasse algérienne a des inconvénients : en guettant un lièvre, on peut se trouver en face d’un lion. Mais les lions ne sont pas aussi nombreux que les grains de sable, et ils ne sont dangereux qu’à la nuit tombante. Comme tous les animaux de race féline, le lion ne voit pas- bien clair tant que le soleil est sur l’horizon. Lorsque l’on rencontre un lion avant le crépuscule, il est rare qu’il soit à jeun ; aussi, moitié par paresse, moitié par insouciance, se montre-t-il assez débonnaire envers les voyageurs qui se trouvent sur son chemin : rien ne dispose à l’indulgence comme d’avoir bien dîné. Il ne faudrait pas, l’heure de la retraite passée, se fier à la générosité du lion : ventre affamé est sans pitié. C’est l’avis de tous ceux qui ont étudié ses mœurs.

Il y a en Algérie de nombreux tueurs de lions ; mais ce sera particulièrement l’honneur des Larrer, des -Jean Casse-Tête, des Chassaing, des Jules Gérard d’avoir osé les premiers, parmi les Européens, se mesurer seul avec le plus grand et le plus redoutable carnassier de la création. Seul !

Il faut déjà être trois fois brave pour oser s’aventurer dans les ravins d’Afrique, quand les ténèbres viennent ajouter leurs embûches aux dangers qu’ils recèlent. La nuit, en Algérie, est pleine de bruissements étranges, inexplicables, qui forment une harmonie plaintive, et mystérieuse dont l’âme est profondément troublée.

Des formes bizarres surgissent dans l’obscurité, des ombres fantastiques paraissent et disparaissent avec une incroyable rapidité, les fantômes de l’imagination surexcitée se mêlent aux réalités monstrueuses, et tous ces êtres effrayants dansent une sarabande infernale autour de l’homme isolé au milieu de ces causes de terreur.

Qu’on se figure, après cette mise en scène, deux prunelles fulgurantes, séparées par deux largeurs de main, étincelant soudain derrière un buisson, et l’on aura une idée du courage qu’il a fallu à M. Jules Gérard pour tirer son premier lion.

Après lui, M. Bombonnel, qui avait abattu une vingtaine de panthères, s’est mis à chasser le lion en compagnie de M. Chassaing. Dans une seule nuit, ils en ont abattu cinq.

Nulle terre au monde ne foisonne en gibier comme l’Algérie ; pour en donner une idée, citons un fait.

Jean Casse-Tête, qui exploitait alors la plaine du Rio-Saladb, avait reçu commande de cent cinquante lapins pour- un repas de corps. Il les fournit en quatre jours. C’est lui qui a découvert le vallon de Kamarata, où les lièvres pullulent au point que, selon son expression, on ne peut faire un pas sans en écraser un.

Moins connu en France que M. Jules Gérard, Jean n’en est pas moins un tueur de lions. Il a eu l’audace de tirer sur une lionne avec un fusil chargé de chevrotines. Il pensait que le coup ferait balle. La lionne, blessée légèrement, bondit sur lui ; il la tua à coups de couteau. Il nous a montré la peau de cette lionne ; une partie de son épaule a été enlevée par un coup de griffe. Selon nous, c’est là un des plus périlleux combats corps à corps qui ait été soutenu par un homme contre une bête féroce..

Jean faisait un grand commerce de fourrures ; peut-être quelques-unes de nos lectrices ont une descente de lit fournie par lui au commerce parisien.

Il y a des Français et des indigènes qui s’enfoncent dans le désert pour y chasser l’autruche, dont les plumes se payent très-cher. Entourés d’ennemis, vivant au milieu d’embûches continuelles, ces chasseurs ont une existence pleine d’aventures émouvantes.

Jean Casse-Tête était de ceux-là.

à suivre…

Par Louis Noir

Logo d’illustration : page 9 de l’ouvrage en ma possession (1876 ?, la date de publication n’est pas précisée)

Précédemment publié en janvier 2007.

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