Chronique

Laissez-nous faire notre deuil !

Avant la semaine passée, je souhaitais vivre jusqu’à ce qu’ils mettent fin à leurs carrières. Mon pire cauchemar était que je quitte ce monde sans avoir écouté leurs derniers albums. Je n’ai pas cessé de fredonner leurs chansons depuis ma lointaine adolescence. Quand je m’essayais à la poésie, je voulais que mes vers soient aussi beaux que les leurs. Lorsque je dressais la liste des personnes que j’admirais le plus, leurs noms s’imposaient et occupaient les premières places. Je les ai placés au niveau le plus élevé de mon estime. J’avais pour eux un respect égal à celui que je vouais à mes parents et une admiration proche de l’amour. Je les ai dotés des qualités morales les plus nobles dont l’honnêteté et la loyauté envers leur peuple. Je les ai crédités chacun d’une personnalité et d’un caractère solides, capables de résister à tous les bains de liquides corrosifs dans lesquels un intrigant pourrait les immerger. J’ignorais naïvement que nul ne peut résister au bain d’argent liquide. Au contact de ce fluide diabolique, la conscience perd ses scrupules et l’âme honnête se métamorphose en un monstre d’avidité, en un humanoïde froid et calculateur.

Il y a des voix qui nous reprochent notre colère et notre indignation soulevées par les embrassades choquantes. Ce sont des voix de personnes qui n’ont jamais perdu un être cher. Pour ceux qui ont connu l’obligation cruelle de faire le deuil d’un être aimé, nos révoltes sont légitimes. Nous enterrons notre fidélité à des artistes qui ont construit et entretenus nos convictions. Nous renonçons à deux artistes qui ont nourri notre idéal de liberté. Nous ne sommes pas des ingrats. Nous n’avons pas oublié tout ce qu’ils ont apporté à la restauration de notre identité culturelle délabrée par les siècles de colonisations ininterrompues. Non ! Nous sommes des admirateurs amers d’avoir perdu à jamais deux artistes qui alimentaient nos rêves de grandeur. Nous sommes des esthètes contraints de nous passer de la beauté de leur art car, dorénavant, leurs créations nous rappelleront leur allégeance aux semeurs de laideur avec lesquels ils se sont acoquinés. Nous sommes convaincus que le talent déserte l’esprit soumis à servir d’autres intérêts que ceux de l’art. Ceux qui craignent que leur soutien manquera à notre cause se trompent. L’incohérence des discours et l’inconstance des positions de principe nuisent à une cause plus qu’elles ne la servent. Que peuvent-ils apporter à notre désir d’émancipation maintenant qu’ils sont devenus des esclaves enchaînés ?

Un « énergumène » 29 mai 2016

Merci de respecter notre travail.