Biographie

Zo d’Axa : Écrivain pamphlétaire et journaliste libertaire

Alphonse Gallaud de la Pérouse (dit Zo d’Axa) a vu le jour le 24 mai 1864 à Paris, dans une famille aisée (son père, centralien, est ingénieur de la ville de Paris), après des études au collège Chaptal, prépare Saint-Cyr. Engagé dans un régiment de cuirassés, il part ensuite dans les chasseurs d’Afrique. Mais l’aventure n’a pas les couleurs escomptées. Le jeune homme s’y ennuie fort et, premier coup d’éclat, il déserte en emmenant la femme de son supérieur. Sa vie durant, il sera constamment et violemment antimilitariste et manifestera à chaque occasion sa solidarité avec les victimes de l’institution militaire. Réfugié à Bruxelles, il devient journaliste aux Nouvelles du Jour. Mais la vie sédentaire ne lui sied guère, et il part en Suisse, puis en Italie. Amnistié en 1889, il rentre à Paris. Non conformiste, écrivain en marge, politiquement incorrect tels sont les lieux communs sur ce militant individualiste du début du XXe siècle.

Zo d’Axa est d’abord poète, et écrit de courts poèmes, Les Intensifs, jamais publiés.

C’est un non-conformiste, un individu « en marge ». L’écrivain partage ce sort : les auteurs anarchistes seront qualifiés d’irréguliers, de réfractaires. Le “réfractaire”, c’est d’abord celui qui brise (l’uniformité de la pensée établie, le consensus), celui qui est d’avis contraire ; c’est ensuite celui qui ne se laisse pas briser, qui contredit, qui résiste. Jules Vallès écrivait : « partout où l’on rencontre un tempérament particulier, une nature en dehors et un peu téméraire, on peut être sûr que tôt ou tard le talent jaillira, comme jaillit la sève au flanc déchiré des arbres ».

L’anarchisme, « c’est la vie évoluant sans cesse », dit Sébastien Faure dans l’Encyclopédie anarchiste. Pensant par lui-même, ayant à trouver un modus vivendi qui ne lui soit pas imposé de l’extérieur, l’anarchiste se retrouve bien souvent en dehors de la société : en dehors des habitudes, des traditions, des règles de vie admises et encouragées par la société.

Selon Jean Grave, « ce fut dans les milieux littéraires de Montmartre qu’il fit son apparition, et commença à se faire remarquer dans quelques petits cénacles où il annonça son intention de publier un journal ». Hésita-t-il entre le royalisme ou l’anarchisme, comme l’indique Grave, qui le range parmi « les originaux qui vinrent tâter de l’anarchie ». Manifestement, il n’y avait guère de points communs entre Zo d’Axa et le « Pape de la rue Mouffetard » ! Malgré leurs personnalités opposées – Lucien Descaves parle de « chevalerie errante » pour l’un, et de « roture sédentaire » pour l’autre – Grave reconnaît cependant à Zo d’Axa un tempérament d’aristocrate et le mérite de publier de très bons articles.

En mai 1891, Zo d’Axa publie le premier numéro de L’Endehors, « organe essentiellement littéraire de l’anarchie » (Flor O’Squarr) qui tire à six mille exemplaires. Lucien Descaves, jeune écrivain et futur membre de l’Académie Goncourt, connut Zo d’Axa à cette époque et, dans ses souvenirs, en brosse un portrait admiratif :

« Avec sa barbe rousse taillée en pointe, Zo d’Axa ressemblait à un mousquetaire travesti en civil. Il était beau, il était brave, il était sarcastique et d’une indépendance à nulle autre pareille. Il ne mâchait pas plus à ses amis qu’à ses adversaires ce qu’il croyait être la vérité … la sienne. Il était de toute sa personne en dehors. Il n’attendait pas la provocation pour tomber en garde. Aussi indépendant qu’incapable de calcul, il obéissait à ses impulsions, sans en devoir compte à personne. Sous le pavillon parlant L’Endehors, il avait frété à ses risques et périls ce bateau de petit tonnage chargé de torpiller une société corrompue. »

Une gravure d’époque représente la salle de rédaction du journal, installée dans un sous-sol de la rue Bochard-de-Saron, près du Boulevard Rochechouart : aux côtés de Zo d’Axa se tiennent notamment Jean Grave, Augustin Hamon, Bernard Lazare, Charles Malato, Octave Mirbeau. Des hommes aussi divers que Tristan Bernard, Georges Darien, Lucien Descaves, Sébastien Faure, Félix Fénéon, Émile Henry, Camille Mauclair, Pierre Quillard, Émile Verhaeren y écrivent également. À tous, Zo d’Axa offre une tribune où l’on peut « s’exprimer sans euphémismes discrets ni peureuses réticences ». Dans Le Figaro, Jules Huret écrit : « L’Endehors est un journal hebdomadaire qui publie, toutes violences déchaînées, des écrits anarchistes, des critiques littéraires ultramodernes ; c’est l’asile de réfractaires comme Georges Darien, et de purs poètes comme Henri de Régnier et Saint-Pol Roux. « Le directeur, Zo d’Axa, est un vaillant. » Selon Paul Adam, « Zo d’Axa est un journaliste de valeur » et ses articles « offrent d’excellentes et justes diatribes contre l’iniquité du temps » [1].

L’en-dehors ne prend pas parti pour un camp ou pour l’autre. Zo d’Axa n’était ni pour Dreyfus ni contre Dreyfus : il réclamait seulement le droit de penser librement. Ce qui n’est pas bien vu : cela est toujours mieux d’être pour ou contre (et tellement plus confortable !). Il faut prendre parti…

Logiquement, L’Endehors est bientôt poursuivi. L’auteur d’un article, Louis Matha, le gérant, et Zo d’Axa, sont condamnés chacun à mille francs d’amende. Dans le numéro suivant, Zo d’Axa commente : « Trois mille francs c’est pour rien. » Et il administre une nouvelle volée de bois vert à la magistrature ! Après l’arrestation de Ravachol et de ses compagnons, en mars 1892, L’Endehors ouvre une souscription « pour ne pas laisser mourir de faim les mioches dont la Société frappe implacablement les pères parce qu’ils sont des révoltés ». Zo d’Axa est arrêté sous l’inculpation d’association de malfaiteurs et emprisonné pendant un mois à Mazas.

L’Endehors continue de paraître pendant sa détention grâce, notamment, à Félix Fénéon. Peu après, un autre article entraîne de nouvelles poursuites. Sans attendre une nouvelle arrestation, Zo d’Axa traverse la Manche. Les 1er juin et 5 juillet 1892, il est condamné successivement à dix-huit mois de prison pour provocation au meurtre et au pillage, puis à deux ans de prison et deux mille francs d’amende pour le même motif.

Exilé avec Matha, il trouve un refuge temporaire chez Charles Malato, parmi la nombreuse émigration révolutionnaire du quartier français de Londres. Son hôte en brosse le portrait d’un « écrivain et cavalier errant », « drapé dans une cape de couleur sombre et coiffé d’une façon de Sombrero, sous les larges bords desquels on ne distinguait que des flots de barbe rutilante » : « Zo d’Axa eût pu revendiquer pour armes la plume, l’épée et la guitare, car il était aussi redoutable polémiste que vaillant escrimeur et Don Juan irrésistible ».

Au bout de trois mois, fatigué d’une vie morne sur les bords de la Tamise, il décide de partir pour un long périple qui allait l’amener à traverser l’Europe, puis à poursuivre vers le Proche-Orient. Au milieu de cet étrange voyage, il se demande si « profitant des suspicions gouvernementales et bénéficiant d’expulsions successives – forces locomotrices qui vous entraînent d’un bout à l’autre des pays, on ne pourrait avec un peu de bonne volonté réussir le tour du monde ? »

Mais, en décembre 1892, il est arrêté à Jaffa par le consul de France qui, manu militari, le rapatrie sur un bateau des Messageries maritimes en partance pour Marseille. Arrêté à son arrivée, il passe quelques jours dans une prison marseillaise avant d’être transféré à Paris, où il est incarcéré à Sainte-Pélagie, refusant de signer une demande en grâce. Libéré le 1er juillet 1894, jour des funérailles du président de la République, Sadi-Carnot, exécuté le 24 juin à Lyon par l’anarchiste italien Santo Caserio, il est aussitôt mis au Dépôt, le temps de l’enterrement.

En prison, il a écrit le récit de son voyage et de ses pérégrinations, De Mazas à Jérusalem. L’ouvrage est très bien accueilli par la critique, de Jules Renard à Octave Mirbeau en passant par Laurent Tailhade et Georges Clemenceau. Jules Renard écrira, par exemple, que « son livre fait aimer son caractère ». Insouciant d’une carrière littéraire, Zo d’Axa dirige l’éphémère quotidien anarchisant La Renaissance (décembre 1895-janvier 1896), où il écrit aux côtés de Félix Fénéon, Mécislas Golberg, Bernard Lazare, Laurent Tailhade, Michel Zévaco, puis il reprend sa vie de voyageur…

En octobre 1897, au milieu des tumultes de l’affaire Dreyfus, Zo d’Axa tente une nouvelle expérience. Il publie « à chaque occasion » La Feuille, et s’explique :

« Nous aussi, nous parlerons au peuple, et pas pour le flagorner, lui promettre merveilles et monts, fleuves, frontières naturelles, ni même une république propre ou des candidats loyaux ; ni même une révolution préfaçant le paradis terrestre…
Toutes ces antiennes équivalentes se psalmodient cauteleusement – ici nous parlerons clair.
Pas de promesses. Pas de tromperie. Nous causerons des faits divers, nous montrerons les causes latentes, nous indiquerons des pourquoi. Et nous débinerons les trucs et nous nommerons les truqueurs, gens de politique et de sac, gens de lettres – tous les jean-fichtre.
Nous dirons des choses très simples et nous les dirons simplement. »

Sur une simple page figure, au recto, un dessin de Maximilien Luce, Steinlein, Wilette, etc., et, au verso, un article de Zo d’Axa. Qu’on juge du ton à propos de l’affaire qui enflamme les passions des dreyfusards et des antidreyfusards : « Si ce monsieur ne fut pas traître – il fut capitaine. Passons. » Cela ne l’empêche pas, bien au contraire, de fustiger les faussaires de l’état-major (« En joue … faux ! ») et les glapissements antisémites de La Libre parole (« Drumont et Vacher »). Mais son coup de maître reste l’élection du candidat de La Feuille : un âne baptisé Nul, hissé le jour de l’élection sur un char et promené dans Paris sous les acclamations des badauds. Quand les forces de l’ordre interviennent, Zo d’Axa déclare : « N’insistons pas, c’est maintenant un candidat officiel. » N’avait-il pas présenté le bourricot comme « un âne pas trop savant, un sage qui ne boit que de l’eau et reculerait devant un pot de vin. À cela près le type accompli du député majoritard. »

À l’aube d’un siècle nouveau, Zo d’Axa, fatigué de tant de combats, arrête La Feuille et reprend sa vie errante sur les trois continents. Il envoie simplement ses impressions de voyage à différents journaux et écrit dans L’Ennemi du peuple, dirigé par Émile Janvion, qui paraît du 1er août 1903 au 1er octobre 1904. Aux États-Unis, il se rend à Paterson où, selon ses propres termes, « des évadés du Vieux Monde s’en vont affûter des couteaux et mâchonner des balles de plomb contre la quiétude des rois ».

Dans un faubourg de Jersey City, il rencontre la veuve de l’anarchiste italien Bresci qui abattit le roi d’Italie, Umberto Ier, le 30 juillet 1900. La Revue blanche des frères Natanson publie son récit en septembre 1902.

À son retour en France, il s’installe à Marseille où on le rencontre « flânant sur la Canebière ou parcourant en bicyclette la Corniche ensoleillée » (L. Campion). Sollicité en 1917 par le rédacteur en chef de L’Ordre, Émile Buré – « renégat notoire mais journaliste de talent » selon Mualdes –, pour écrire ses mémoires, Zo d’Axa lui répond :

« Ce n’est pas par hasard que je n’écris jamais et si d’ailleurs il me prenait quelque vain plaisir à penser tout haut, je ne serais pas rétrospectif. C’est au présent que je parlerais et trop en dehors, croyez-le, des ronrons de l’Union Sacrée, car je suis le même, malgré le poil blanc et le silence … » Toujours réfractaire, « ni la guerre de 1914-1918, ni la dictature bolchevique n’obtiennent ses suffrages » (L. Campion).

En 1921, de passage à Paris, il publie son dernier article dans Le Journal du Peuple pour répondre à une insanité journalistique. L’homme a vieilli, mais la plume est toujours aussi alerte, superbe :

« … me taire ne suffirait peut-être pas à me préserver de l’honneur défigurer comme repenti (…) Les derniers amis de L’En dehors et de La Feuille connaissent le sens d’un passé que le présent n’entend pas renier. Pendant un bon bout de chemin, contre les laideurs du temps, nous avons réagi ensemble. On nous traitait d’anarchistes, l’étiquette importait peu. (…) Qu’est-ce donc vivre si ce n’est passer, selon sa nature, un moment ? J’aime le matin sur les routes proches ou lointaines, et sans stylo, sans autre ambition ni but que de comprendre la journée claire en dehors des mirages flottants, en dehors ainsi que toujours, à des feuilles d’écriture près… »

C’est un « original » : il n’a jamais voulu se réclamer d’aucun mouvement – pas même du mouvement anarchiste. Il dira en 1921 dans Le Journal du Peuple :

« On nous traitait d’anarchistes, l’étiquette importait peu. En somme il n’y a que deux partis, loups et chiens à jamais hostiles. Et pas seulement deux partis : deux instincts, deux façons de sentir. Oui, j’écrivais pour le plaisir – le plaisir de dire ce que je pensais, au fait ce que je ressens toujours ».

On ne peut parler de lui avec nos mots habituels. Il bouscule les catégories, nous force à revoir nos classifications, à éviter les mots faciles, les clichés. À sortir de la littérature. La révolte n’est pas une chose qui se met en formules ou se codifie ; elle se vit.

« L’idée de révolte n’est pas une quelconque maxime, une foi nouvelle destinée à tromper encore tes appétits et tes espoirs. C’est l’altière volonté de vivre, c’est l’art de marcher tout seul – en dehors – il suffit d’oser ».

Malheur à celui qui dénonce l’hypocrisie des deux côtés, qui hésite à s’enrôler derrière des banderoles aux mots d’ordre bien sonores. Zo d’Axa se refusait à « monter dans les bateaux pavoisés de la religion et de la patrie », et, bien avant l’époque de nos guerres modernes, ne voulait pas davantage s’embarquer sur le « radeau sans biscuits de la Méduse humanitaire ».

Après une tentative de suicide ratée en 1927 chez Élisée et Élie Reclus, Zo d’Axa, qui demeurait 71 Promenade de la Corniche, met fin à ses jours le 30 août 1930 à Marseille. La veille de sa mort, il avait brûlé presque tous ses papiers…

Œuvres :

Zo d’Axa, De Mazas à Jérusalem, Paris, Chamuel éditeur, 1895 (le même livre a été édité à Bruxelles sous le titre de Le grand trimard)
Endehors, Paris, Chamuel éditeur, 1896
Les Feuilles, Paris, La Société libre d’édition des gens de lettres, 1900
Endehors, textes rassemblés et présentés par J.-P. Courty, Paris, Champ libre, 1974
La Feuille (réimpression dans son format original de la collection complète des 25 numéros, 1897-1899), Saint-Denis, Le Vent du Ch’min, 1978.
Zo d’Axa l’En dehors par Béatrice Arnac d’Axa, éditions Plein Chant (2006)
Le tourmenté, texte de Zo d’Axa mis en musique et interprété par Béatrice Arnac
La Feuille, réimpression dans son format d’origine des 25 numéros (1897-1899) aux éditions Du Lérot 16140 TUSSON (2000)
De Mazas à Jérusalem de Zo d’Axa, réédité en 2007, éditions Plein Chant
Vous n’êtes que des poires de Bernard Langlois (fondateur de Politis) aux éditions Le Passager Clandestin (2010).

Précédemment mis en ligne en août 2006

Notes

[1] (Entretiens politiques et littéraires, tome VI, n° 37, 25 février 1893)

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