Tribune libre

Doux leurre kabyle : La Mecque est dite

Où peut-on lire, « la langue arabe, langue nationale de l’immense majorité, a été étouffée ; la religion islamique est bafouée » ? Ce n’est pas dans une publication arabo-islamique, mais tenez-vous bien, accrochez-vous et respirez un bon coup !…

C’est dans la plateforme de la Soummam, à la page 31. J’en vois qui sursautent, déjà, en disant : « C’est qui celui-là qui ose s’attaquer à un texte aussi intouchable, voire sacré ? ». Avant de m’étaler, sachant que je risque une avalanche de sarcasmes, je me dois de dire que mon propre père, comme ses semblables compagnons du maquis, était présent à ce congrès. Alors, s’il vous plaît, corrigez-moi si c’est nécessaire, ayez une critique constructive, mais de grâce évitez de me donner des leçons de patriotisme débridé.

Sur la dimension amazigh, en l’occurrence kabyle et chaouie, pas la moindre allusion n’a été inscrite dans ce texte qui reconnaît que c’est bien les Chaouis et les Kabyles qui se sont, les premiers, soulevés contre la colonisation française. Il fallait donc s’en tenir à la libération du pays dans le cadre, établit, arabo-islamique.

Dans l’ensemble, ce texte est une merveille qui donne de la substance à l’élaboration d’une société démocratique. Il y a, cependant, un hic de taille ! Comment ses initiateurs pouvaient ignorer qu’aucun monothéisme n’est compatible avec la démocratie ? Encore moins avec celui de “maho-mets-toi à genoux”.

Ceux qui ont eu l’occasion de se rendre à Ifri, et visiter la maisonnette où s’est tenu le congrès, ont dû voir une photo d’un grand nombre de maquisards accomplissant leur « devoir religieux » imposé en faisant leur prière.

Que lit-on dans un paragraphe de la page 26 ?

«La révolution algérienne n’a pas pour but de “jeter à la mer” les Algériens d’origine européenne, mais de détruire le joug colonial inhumain. »

« La révolution algérienne n’est pas une guerre civile, ni une guerre de religion. La révolution algérienne veut conquérir l’indépendance nationale pour installer une république démocratique et sociale garantissant une véritable égalité entre tous les citoyens d’une même patrie, sans discrimination ! » C.Q.F.D.

À la lecture de cet extrait, on se dit qu’il y a de quoi jubiler ; sauf que si l’on est un peu “averti” on s’apercevra que la force du Kabyle réside dans son incohérence.

Les Kabyles présents, faisant partie des responsables du congrès, ont tout simplement été les adversaires, voire les ennemis, de la mouvance berbériste de la fin des années 40. Cette plateforme qui, de prime abord, renie notre identité est, dans la tête d’une large majorité de Kabyles, la meilleure vision politique du futur pour ce pays qui allait devenir une province égyptienne, iranienne, afghane et aujourd’hui, définitivement, saoudienne.

On nous a tous fait chanter les louanges de ces « grands révolutionnaires, visionnaires », qui n’ont pas vu plus loin que le bout de leur nez. Des décennies durant, nous refusions et nous refusons toujours de regarder la vérité en face et de faire le bilan de nos échecs répétés. C’est bel et bien les nôtres qui ont été à l’origine de la falsification de notre histoire après l’inqualifiable décision de Napoléon III, d’établir un royaume arabo-musulman en Afrique du Nord au milieu du XIXe siècle.

Qu’ont eu à gagner les Kabyles et les Chaouis, si ce n’est la probable disparition de leur identité au profit de celle imposée qui continue à causer des dégâts sans commune mesure ? Lisez, plutôt, cette fin d’un paragraphe de la page 18 :

« Cette manœuvre grossière de dernière heure ne dupera pas les fellahs qui ont mis en échec la vieille chimère des “affaires indigènes” séparant artificiellement les Algériens en Berbères et Arabes hostiles » dixit Abane Ramdane.

Ainsi, donc, les Berbères sont une pure création du colonialisme français pour le “lion Abane”. L’algérianité utopique des responsables kabyles, politiques et militaires, de l’époque et d’aujourd’hui s’appelle, tout simplement, doux leurre kabyle. C’est, en effet, en finesse que les ennemis jurés de la Kabylie nous ont bercés avec la complicité, indiscutable, des « héros kabyles ».

En refusant de faire notre examen de conscience, nous approuvons et signons notre condamnation à disparaître. Non ! Je ne me sens pas défaitiste ni pessimiste. Je suis, comme beaucoup, un citoyen kabyle qui ne rêve qu’à sa libération et qui veut échapper au rouleau compresseur arabo-islamique.

Dans le deuxième paragraphe de la déclaration du premier novembre 1954, la deuxième phrase dit ceci :

« En effet, le but d’un mouvement révolutionnaire étant de créer toutes les conditions d’une action libératrice, nous estimons que, sous ses aspects internes, le peuple est derrière le mot d’ordre d’indépendance et d’action et, sous les aspects extérieurs, le climat de détente est favorable pour le règlement des problèmes mineurs, dont le nôtre, avec surtout l’appui diplomatique de nos frères arabo-musulmans ».

Plus loin, au sixième paragraphe, on découvre ceci :

« But : L’indépendance nationale par : La restauration de l’état algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques. »

Dans le huitième paragraphe on apprend ceci :

« réalisation de l’unité nord-africaine dans le cadre naturel arabo-musulman. »

Comme beaucoup le savent, cette déclaration a été pensée et rédigée par un instituteur kabyle dont je préfère taire le nom.

Dans un pavé de 595 pages, intitulé : Algérie, chronique d’une guerre amnésique, l’auteur, Patrick Charles Renaud, rapporte quelques informations aussi croustillantes les unes que les autres. Jugez-en par vous-même : Parlant de certains responsables de l’insurrection il écrit ceci :

« la réunion qui doit se tenir en ce 25 juillet 54 au milieu du bel été algérois est ultrasecrète et d’une grande importance. À l’extérieur deux cousins, du propriétaire de la petite villa, surveillent les alentours et les entrées. Quelques rues plus loin, une traction Citroën noire est stationnée. Elle est occupée par quatre agents de la D.S.T. chargés de surveiller les environs. »

Si aucun des responsables n’a été arrêté, c’est tant mieux. En revanche, ne sommes-nous pas en droit de nous poser des questions légitimes sur la curiosité de ce scénario ? La France, confrontée à l’ère de la décolonisation, n’était-elle pas en phase de préparer, déjà, son départ d’une façon ou d’une autre ? Manipulations, manœuvres, machinations et autres entourloupes, n’étaient-elles pas organisées pour embobiner, les Kabyles surtout, afin de leur faire subir l’enfer de la guerre et ses dégâts irréparables ?

En conclusion, je vous livre deux autres informations contenues dans ce même livre, édité à compte d’auteur, qui vont, un peu mieux, nous éclairer sur la dégradante et humiliante situation que vivent les Kabyles aujourd’hui. Au cours de la réunion, citée ci-dessus, Didouche Mourad, le Kabyle d’Azzefoun, prononcera la phrase suivante :

«sans l’union avec les Kabyles, riche réservoir d’hommes entrainés et politiquement sûrs, bastion naturel, la guerre de libération nationale ne sera jamais déclenchée a travers tout le territoire. »

Moralité : Libérons d’abord l’Algérie arabo-islamique et enterrons définitivement notre identité. Cette triste réalité a été confirmée dans le même ouvrage où nous pouvons lire à la page 26 :

« A Ighil Imoula, dans le maquis de Kabylie, Krim Belkacem et son adjoint Ouamrane feront jurer sur le Coran les hommes qui ont pris la décision de passer à l’action, de lutter par tous les moyens jusqu’à l’indépendance ou la mort. »

Voici donc que “La Mecque est dite” par Krim qui n’a pas manqué d’être “récompensé” pour sa fidélité à l’idéologie, dévastatrice, arabo-islamique.

Aruy

Précédemment publié en novembre 2011

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